REVER L’IRREEL POUR BATIR LE REEL ?
PAR NICOLE MAZZELLA
Paris, 8 mai 2011
Je découvre «Amours légendaires», «Manifeste du punk romantisme», «Focus sur trace plastique» et me voilà en voyage au coeur d’un univers inattendu, attirant en une fraction de seconde.
Je suis saisie par la diversité des créations hautes en couleurs, formes et mots à priori juxtaposés, mais intimement liés à bien y regarder. Surprise par l’éveil instantané de mes sens, je m’interroge quant à l’immédiateté et l’intensité de ce sentiment. Je regarde de nouveau, de plus près, pour tenter de comprendre cette évocation mentale et sensorielle.
J’aime le choix des mots, des citations, des auteurs, qui donnent une force aux messages humanistes où la liberté, le dépassement de soi, l’effort et la résistance sont convoqués. La prégnance du sens de ces mots choisis m’évoque le chemin de l’esthète.
Une quête guidée par la pensée, puis confortée par des compositions au style épuré, fluide, des images révélant la puissance et l’élégance des corps, l’utilisation de techniques de dessin, de photographie où la recherche du relief et la précision du trait sont à l’œuvre.
Ce sens visuel en présence m’interpelle d’autant plus qu’il laisse transparaître la suggestivité du propos, l’essence du désir. Une expression complexe justement illustrée par le contraste des images, les jeux de couleurs et de noir et blanc soulignant les émotions, les paradoxes et les contradictions manifestés.
Cette question du désir est révélée également par l’intemporalité des compositions où passé et présent se font face et se mêlent en même temps. Tel un écho à l’histoire, mémoire de notre vie qui écrit aussi notre présent et notre futur, tel un clin d’oeil à l’étrangeté des désirs de nos rêves où la mesure du temps n’existe pas.
Une sollicitation originale explorant nos rêves à double sens, rêver ou entendre nos émotions, rêver ou libérer les forces de l’imaginaire et ainsi créer de nouveaux possibles.
L’univers artistique de Marie B. Cros se composerait-il comme un rêve ? Un accès aux symboles faiseur de sens par une alliance entre créativité et rigueur, par un accord entre désordre et construction ?
Une inconnue à première vue, une évidente signification en prise de vue : rêver l’irréel pour bâtir le réel…
Nicole Mazzella, Dirigeant fondateur Oratio Conseil
SO CHIC #37, FALL 2014 par FRANCK ALAN STEED
” On ne peut pas être à la fois Art Stage Designer, Film Maker, ou tout simplement artiste de talent sans avoir un terrible secret. Marie B. Cros n'échappe pas à la règle. Je devine d'ailleurs, à son air détaché et ses très belles mains de pianiste, qu'elle en a plusieurs. Quand nous nous rencontrons pour parler de My Animal Factory, son projet sélectionné pour la 3eme édition du catalogue contemporain « American Illustration », c'est un soir à l'aéroport d'Orly alors qu'elle part en urgence à New York. Ni l'heure tardive, ni la pluie s'accumulant contre les grandes vitres du bâtiment déserté, ou encore le retard de son avion sur les écrans d'affichage, ne semblent l'inquiéter. Elle prend soin d'éteindre son portable, et profite de la pénombre ambiante pour dévoiler la manière dont elle a réussi à créer un monde où le temps et l'espace donnent naissance à des créatures hybrides, évoluant dans un décor délicieusement baroque. Il y a dans cet univers un mystérieux maître d'hôtel masqué, des chevaux, et surtout, un guépard omniprésent défiant tous les dangers, aussi à son aise en pleine nature que dans les salons mondains d'un hôtel particulier perdu au fin fond du dix-septième siècle. Le résultat est à l'image des planches de Tiziano Scalvi, esthétique et incomparable, d'une force surprenante tant les éléments semblent à la fois s'unir et se désunir face au destin. Marie B. a le coup de crayon de l'architecte, elle travaille la lumière et l'obscurité de telle façon que l'on ne sait plus qui, du château ou de l'animal, est véritablement à sa place. Il ne faut pas s'y tromper, cependant: My Animal Factory est comme beaucoup d'oeuvres capables de resurgir du passé pour épouser d'autres supports, de s'insérer dans les livres d'arts, ou se transformer en court métrage. Il faut revenir près de vingt ans en arrière, imaginer la Marie B. d'alors frappée par une illumination, un flash, une émotion si forte qu'elle n'aura de cesse de là reproduire tout au long de sa carrière.
Difficile de savoir ce qui a pu bouleverser cette artiste, qui passe à ce moment de vie la plus grande partie de son temps à mettre en scène les prises des vues pour de photographes de renom, tout en partageant sa vision de l'art avec Raffaele un producteur de documentaires socioculturels à Paris. Effectivement, les grand événements ne sont pas toujours ceux que l'on attend. Pour Marie B. Cros, c'est la vision impensable du plus anodin des animaux qui crée le déclic, celui de Dolly, brebis clonée en 1996. La jeune scénographe s'imprègne donc du sujet, peint, écrit ses premières nouvelles. Tente d'imaginer comment l'être humain peut évoluer pour s'adapter à l'hostilité de l'environnement alors que la science a dépassé la fiction. Le projet Animal Factory demeure à l'abri des regards pendant de longues années, à l'instar du thème musical de Blade Runner, écrit par Vangelis une décennie avant la sortie du film. Marie B, qui a deux ateliers de création, l'un à Montreuil, l'autre dans le sud près de son lieu d’enfance, explore d'autres univers. Soutenue par l'architecte et mécène Gherardo Frassa, elle travaille les noirs poreux, façonne la matière, modèle l'espace façon Eliasson et Viola. L'hybridation, thème cher à Chris Carter et Enki Bilal reste sa préoccupation latente, même si d'autres visions se conjuguent avec le temps. Marie B. développe une technique de travail bien spécifique tant pour ses besoins que pour assurer les commandes des grandes maisons de mode. Son concept est un atelier virtuel qui lui permet de mettre le réel et l'irréel en perspective. Elle réalise ainsi de nombreux projets soignés pour Givenchy, Chanel, ou encore la Maison Dior, et s'immerge dans le Pop Art, allant jusqu'à défier Andy Warhol dans sa période In Drag. Le futur est déjà là, il y à fort à parier que Marie B. Cros fera vivre le félin hybride de ses rêves sur les supports éphémères de demain, donnant ainsi tout son sens à la fragilité de l'être dans l'univers face au temps qui passe. ”
Franck Alan Steed
Par Franck Alan Steed, SO CHIC #37, fall 2014
(please find english version below this text)
By Franck Alan Steed, SO CHIC #37, fall 2014
SHE HAS SUCCEEDED IN CREATING A WORLD IN WHICH TIME AND SPACE GIVE BIRTH TO HYBRID CREATURES EVOLVING IN A DELICIOUSLY BAROQUE DÉCOR.
One cannot simultaneously be an Art Stage Designer, Film Maker or simply a talented artist without having a terrible secret. Marie B. Cros is no exception to the rule. Indeed, I divine from her detached air and her beautiful pianist's hands that she actually has several. When we meet to talk about My Animal Factory, her project selected for the 32nd edition of the contemporary annual "American Illustration", it is of an evening, at Orly airport, as she must head to New York urgently. Neither the late hour, nor the rain beating against the expansive windows of the deserted building, nor her flight's delay highlighted on the airport's departures board, seem to worry her. She takes care to switch off her mobile phone, and takes advantage of the ambient half-light to reveal the manner in which she has succeeded in creating a world in which time and space give birth to hybrid creatures evolving in a deliciously baroque décor. In this universe live a mysterious masked maître d'hôtel, horses, and especially an omnipresent cheetah that defies all dangers, equally at ease immersed in nature as in the salons of a private mansion hidden in the depths of the 17th century. The result is somewhat like the storyboards of Tiziano Scalvi, both esthetic and incomparable, with a surprising strength that stems from the elements seeming to both unite and come apart in the face of destiny. Marie B. has the pencil lines of the architect, she works with light and obscurity in such a way that we do not know, between the castle and the animal, which is truly in its rightful place. Don't get it wrong, though: My Animal Factory is like so many works capable of surging out of the past to occupy other forms, to slide into art books, or to transform themselves into short films. It is necessary to go back nearly 20 years and imagine Marie B. hit by an illumination, a flash, an emotion so strong that she could not help but reproduce it again and again throughout her career.
HER CONCEPT IS A VIRTUAL WORKSHOP THAT ALLOWS HER TO PUT BOTH REAL AND FANTASY INTO PERSPECTIVE
it is difficult to know what could have overwhelmed the artist so much. Back then. she spent much of her time art directing exhibitions for renowned photographers, all the while sharing her vision of art with Ghepardo, a producer of socio- cultural documentaries in Paris. But the major events of our lives are not always those we expect. For Marie B. Cros, it is the unthinkable vision of the most harmless of animals that triggered the changes that of Dolly the sheep, cloned in 1996. The young scenographer dived into her subject, painting and writing her first stories. She tried to imagine how the human being can evolve to adapt to the hostility of an environment in which science has taken over from fiction. My Animal Factory stayed out of the limelight for many years, just like the soundtrack to Blade Runner, written by Vangelis a decade before the film's release. Marie B, who has two workshops, one Montreuil, the other in the South of France where she was born, also explores other worlds. Supported by the architect and patron Gherardo Frassa, she works with porous blacks, shaping matter and modeling space in the manner of Eliasson and Viola. Hybridization, that theme so dear to Chris Carter and Enki Bilal, remains her latent preoccupation, although other visions come forth with time. Marie B. develops a very specific technique both for the needs of her own work and in order to satisfy orders from the major fashion houses. Her concept is a virtual workshop that allows her to put both real and fantasy into perspective. She works on numerous immaculate projects for Givenchy.Chanel and even Alaïa, and delves into Pop Art to the point of defying Andy Warhol in his In Drag period. The future is already here, and it is a fairly safe bet that Marie B. Cros will continue bringing the hybrid feline of her dreams to life on the ephemeral formats of tomorrow, making complete sense of the fragility of being in the world faced with the passage of time.